Photo : PNUD Climat.
Myrto Tilianaki, Chargée de plaidoyer Souveraineté Alimentaire et Climat au CCFD-Terre Solidaire – organisation membre française de la CIDSE – a participé à la COP26 à Glasgow pour suivre les négociations sur l'article 6 de l'Accord de Paris. Dans cette interview, elle évoque les Solutions fondées sur la Nature et la controverse entourant leurs implications pour la préservation de la biodiversité et les droits des communautés autochtones.
Qu'est-ce qui est considéré comme Solutions fondées sur la Nature ?
Le concept de Solutions fondées sur la Nature (NbS) a été développé par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 2015-2016. Il est censé impliquer des « solutions » liant climat et biodiversité. Bien que sur papier, cela puisse paraître intéressant, il s'agit d'un concept extrêmement vague qui comprend de nombreuses pratiques différentes.
Nous avons travaillé sur une note d'information avec le Réseau Action Climat (CAN – France) qui a pour objectif de cartographier les pratiques bénéfiques et d'autres néfastes pour le climat et la biodiversité et que l'on appelle souvent les Solutions fondées sur la Nature.
Quel est le principal problème avec les NbS ?
Le manque de clarté relatif à la définition des Solutions basées sur la Nature est le principal problème de ce concept, car il permet de promouvoir des solutions fausses et dangereuses. Il existe quelques « bonnes » pratiques considérées comme NbS telles que l’agroécologie. Cependant, la plupart des solutions qui sont promues, telles l'agriculture intelligente face au climat, les OGM, pour n'en citer que quelques unes, ont déjà été dénoncées par des organisations, dont la CIDSE. Le mot « nature » est utilisé ici pour justifier des pratiques néfastes et c'est là le cœur du problème.
Certaines de ces fausses solutions promues sous le concept de NbS comprennent:
- Les pratiques qui ne sont pas décidées avec et au profit des peuples autochtones et des communautés locales, en particulier les groupes marginalisés comme les femmes.
- Les pratiques qui visent à calculer et à fournir des crédits de compensation basés sur les capacités de capture et de stockage des environnements naturels terrestres. Ces pratiques permettent l'écoblanchiment et constituent une distraction dangereuse par rapport aux réductions réelles et immédiates des émissions.
- Les pratiques de boisement et de reboisement basées sur des plantations de monoculture avec des espèces non indigènes sont également néfastes. Elles stockent moins de carbone que les forêts naturelles et diversifiées, sont moins résistantes aux risques naturels et aux maladies, et mettent la biodiversité en danger. En outre, les pays qui consomment des produits provoquant une déforestation importée (par exemple, l'huile de palme, le caoutchouc, le soja) doivent cesser ces importations.
- Les techniques agricoles « intelligentes face au climat » favorisant le stockage et les compensations de carbone.
- L'utilisation de la bioénergie avec capture et stockage du carbone (BECCS) : ces technologies restent non testées, non prouvées et potentiellement dangereuses pour l'intégrité des écosystèmes.
- Les technologies inspirées de la nature, ainsi que certaines innovations utilisant parfois des matériaux naturels (par exemple, les OGM, la biologie synthétique, les agrocarburants).
- Les projets d'infrastructures nuisibles à la biodiversité ou entraînant des déplacements de population, notamment dans le secteur de l'énergie (par exemple : les barrages hydroélectriques). Outre les secteurs énergétiques non durables (par exemple, l'exploitation minière, le nucléaire), certains projets d'énergie renouvelable peuvent également avoir des impacts problématiques sur la biodiversité s'ils ne sont pas bien gérés.
- L'artificialisation des terres, qui est un facteur déterminant de la perte de biodiversité et un facteur limitant pour le stockage du carbone.
Il est également important de noter que les plus grands promoteurs des Solutions fondées sur la Nature sont aujourd'hui des sociétés transnationales, comme Total Energies qui a également créé sa propre unité NbS. Des projets de compensation – similaires à ceux que Total Energies a mis en place en République du Congo (Congo-Brazzaville) qui vise à planter 40.000 hectares d'acacias, en monoculture – sont proposés dans le cadre de la démarche NbS. L'ONG Grain a également documenté des entreprises faisant la promotion de NbS telles que Nestlé, SYSTEMIQ, Food, and Land Use Coalition cofondée par Yara, Unilever et Blackrock.
Comment les demandes de Solutions fondées sur la Nature sont-elles liées au travail des organisations catholiques ?
Il est difficile de répondre à cette question ; cependant, Laudato Si' fait référence à des solutions venant du peuple et dénonce les appétits des entreprises et du système capitaliste concernant la nature.
En tant qu'organisations catholiques de développement, nous travaillons avec les gens sur le terrain et soutenons les luttes locales pour la souveraineté alimentaire et une transition juste. Dénoncer les Solutions fondées sur la Nature est dès lors cohérent avec le travail que nous avons déjà entrepris par rapport à l'agriculture intelligente face au climat et à d'autres fausses solutions et avec notre dénonciation de la capture et la prise de contrôle de la gouvernance mondiale par les entreprises.
Comme le dit la déclaration de la société civile «De vraies solutions, pas du net-zéro» signée par le CCFD-Terre Solidaire et la CIDSE : « Montrez-nous comment vous allez protéger et restaurer les écosystèmes riches en biodiversité - non pas pour le carbone qu'ils contiennent afin de l'échanger en tant que "Solutions fondées sur la Nature" sur les marchés de compensation, mais parce qu'ils sont à la base de la vie et des moyens de subsistance, et parce que nous devons mettre un terme à la perte de biodiversité et à l'effondrement des écosystèmes. »
Le CCFD-Terre solidaire soutient et adhère aux positions sur les NbS des organisations alliées suivantes: Amis de la terre, Grain, CLARA.
Les NbS ont-elles été abordées à la COP26 ?
Les solutions basées sur la nature n'ont pas été abordées à la COP26, mais le terme est apparu à un moment donné dans le projet de décision de la COP. Il n'y a pas eu de discussions officielles sur les NbS car l'espace de discussion à ce sujet était l'UICN. Cependant, les NbS ont été fortement présentes au sein de la COP à travers d'innombrables événements parallèles. Cela a conduit à l'ajout provisoire du terme « Solutions fondées sur la nature », néanmoins, il a peu après été retiré du texte. L'adoption du terme NbS dans les déclarations officielles de la CCNUCC ou les décisions de la COP aurait pu être extrêmement dangereuse car elle aurait créé un précédent, indiquant que la CCNUCC reconnaissait officiellement ce concept.
Il conviendrait plutôt de proposer le type de formulation suivant « solutions abordant/liant conjointement la biodiversité et le climat ». Il est clair que nous devons aborder en même temps les questions liées au climat, à la biodiversité, aux droits humains et aux droits des peuples autochtones.