La lutte contre le changement climatique peut-elle être menée par des femmes et décolonisée ? – CIDSE

La lutte contre le réchauffement climatique peut-elle être féminine et décolonisée ?

Telle est la question posée par Axelle Fischer, secrétaire générale d'Entraide et Fraternité (EF) dans une analyse publiée en février 2022.


Pour Entraide et Fraternité, les questions de décolonisation, de lutte contre le réchauffement climatique et d'intégration du genre sont intrinsèquement liées. «Il ne peut y avoir de réelles avancées dans la sauvegarde de notre planète, sans la pleine participation des populations des pays appauvris et sans la prise en compte de la voix des femmes» écrit Axelle Fischer, qui avance trois arguments :

  • Premièrement, parce que ces trois questions sont des enjeux de justice devenus incontournables et urgents si nous ne voulons pas voir s’aggraver les colères et conflits causés par l’exclusion voulue et entretenue des femmes et des populations des pays appauvris ; si nous voulons sauvegarder la terre et l’être vivant qui l’habite… végétal, animal et humain.
  • Ensuite, parce que les mécanismes de toute-puissance et de paternalisme qui guident historiquement l’exploitation de la nature et de l’humain sont confrontés à un vent de courage et de liberté de plus en plus médiatisé et donc incontournable dans la sphère publique.
  • Enfin, parce que ces trois thématiques posent la question des acteurs et actrices en présence: la construction de solutions durables ne pourra se faire sans l’inclusion des femmes, des diasporas comme des populations des pays touchés en première ligne par le réchauffement climatique.

C'est ce qu'EF et ses partenaires s'efforcent de faire de de diverses façons.

Vers un partenariat décolonisé

L’idée que le cadre de développement occidental est « supérieur » reste prégnante et une forme d’inertie des mentalités nous convie à la lucidité : la coopération au développement, sous certains aspects, est imprégnée d’approches coloniales. Peut-on être ONG de solidarité internationale, soutenir l’autonomisation tout en imposant de manière unilatérale des contraintes administratives et culturelles toujours plus lourdes ? En d’autres mots, comment l’associatif peut-il se poser comme acteur de ce processus de décolonisation de nos relations internationales ?

Pour qu’une relation dite partenariale (sous-entendu sur un pied d’égalité) puisse être au centre des luttes populaires d’émancipation et de libération des populations dans les pays du Sud, il faut prendre en compte l’histoire, la culture, les traditions, le patrimoine, les formes spécifiques d’organisation qui confèrent aux peuples leur identité propre et leur droit à l’autodétermination.

Apprendre du passé, désapprendre ce qui est peut-être trop profondément ancré en nous et partager le pouvoir : trois clés qui nous permettront de déverrouiller petit à petit les cadenas de cet héritage colonial qui nous enchaine encore.

Convergence des luttes contre le réchauffement climatique

L'enjeu climatique est un enjeu de justice. Cette injustice se vit dans chaque pays appauvri où ce sont systématiquement les populations les plus pauvres qui sont le plus impactées par le dérèglement climatique.

Pour pouvoir maintenir le réchauffement en-dessous du « 1.5°C », nous devons travailler ensemble : associations et ONG, mouvements sociaux, diasporas et partenaires des pays appauvris … cette question demande une large convergence des forces et des stratégies, il s’agit d’une co-responsabilité. EF traduit son engagement pour le climat par un travail à long terme avec ses partenaires pour s’attaquer aux racines des problèmes. Cela implique également de créer du lien entre les combats : justice climatique, justice sociale, souveraineté alimentaire, « gilets verts/gilets jaunes ». Enfin, de donner la parole aux personnes concernées, de ne pas parler à la place des gens. Dans une logique de décolonisation, comme nous le soulignions plus tôt.

Et les femmes dans tout ça ?

L'égalité des sexes est un problème systémique. Parler publiquement de genre dans une ONG catholique n'est pas aisé. Le mettre comme axe transversal, donc omniprésent du travail d’EF, est-ce un défi qui a du sens ou est-ce un risque de se mettre en porte-à-faux par rapport à l’institution ?

Il nous semble que des membres de l’Église se positionnent aujourd’hui en contradiction avec une inspiration importante de la construction de la pensée et de l’action catholiques : la reconnaissance des victimes et exclu∙es de nos sociétés, qui sont majoritairement des femmes, mais aussi la reconnaissance de leur rôle dans le changement social et la sauvegarde de notre «°maison commune°». En effet, il n’y a actuellement au sein de l’Église pas de réel débat sur le fait que les femmes sont victimes. Il en va de sa crédibilité de se prononcer sur cette question, de se dire en recherche d’égalité et de respect de la dignité humaine.
La conversion intégrale appelée de ses vœux par le pape François dans l’encyclique Laudato Si ' Laudato Si’ nécessite une harmonie avec tout ce qui vit sur cette terre. Certes, nous pouvons identifier de nombreuses évolutions positives, entre autres au niveau de la place des femmes dans les structures d’Église. Le pape François, par exemple, a lancé un mouvement important pour faire évoluer la place des femmes, entre autres en nommant des femmes à des niveaux de responsabilité importante. Mais il reste beaucoup d’étapes à franchir avant que la question de l’égalité et équité entre les femmes et les hommes fasse partie intégrante de la vie de l’Église catholique, encore marquée par une logique patriarcale et hiérarchique.

Comme la question de la décolonisation, celle du genre nous met devant nos blessures, les injustices dont on se sent parfois complice, auxquelles on s’est habitué et ce n’est pas confortable. Nous sommes devant un débat de mot et de concepts. Parler de « genre » au sein de l’Église, c’est risquer de heurter des sensibilités éthiques. Le genre étant directement compris comme lié aux questions de morale sexuelle et de non-acceptation des différences biologiques. De même, parler de genre ébranle inévitablement le confort des privilèges. Cela nous conduit à parler de victimes d’injustices ; or, qui bénéficie de ces injustices ? Il se fait que dans l’Église, les bénéficiaires sont des hommes blancs.

Le lien avec le colonialisme est très clair. Parler de genre, c’est parler de justice, de dignité, d’égalité, c’est reconnaître les systèmes d’exploitation et les structures institutionnelles, humaines, et de voir comment les déconstruire. Pour faire évoluer les mentalités, la logique de l’éducation permanente reste inspirante car il s’agit d’abord d’oser la parole, de reconnaître des faits et d’en comprendre les rouages pour ensuite commencer à déconstruire les habitudes.
Pour lutter de manière efficace contre le réchauffement climatique, il est nécessaire d’impliquer les principales personnes concernées à savoir les plus pauvres et exclu∙es… les populations des pays pauvres et particulièrement les femmes. Sur les questions environnementales, la place des femmes doit devenir centrale et ce pour deux raisons :

  1. Le changement climatique exacerbe les inégalités de genre : les femmes sont les principales victimes des changements climatiques. 
  2. Ce sont les femmes qui sont les principales actrices de solutions innovantes.

Conclusion

Entraide et Fraternité se positionne dans une optique positive et volontariste et prône un monde qui allie prospérité, respect des limites de la planète et justice sociale. C’est une utopie, un rêve qui peut devenir réalité pour autant qu’il y ait de la créativité et de la volonté pour apprendre du passé, désapprendre ce dont il faut nous défaire et qui est profondément ancré et accepter de partager le pouvoir.


Notes: 
-Cet article est un résumé non exhaustif du document d' analysed'Axelle Fischer qui fait suite à l'étude « Agir pour la justice sociale dans le monde» réalisée pour les 60 ans d'Entraide et Fraternité. Ce résumé a été traduit en anglais par la CIDSE.
-Entraide et Fraternité est l'organisation membre francophone belge de la CIDSE.

Crédit : F. Pauwels



Axelle Fischer est secrétaire générale d'Entraide et Fraternité depuis février 2018. Auparavant, elle a été secrétaire générale de la Commission Justice et Paix-Belgique de 2008 à 2018.



Photo de couverture  Crédit : AC Dimatatac, 350.org – CC 2.0 Générique (CC BY-NC-SA 2.0)  

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